ORATORIO ­­- Une polyphonie morale

Essai cinématographique ; 88’ ¬ 2025

Essai documentaire © 2025 | Création musicale, Jean-Jacques Palix. Projet réalisé avec l’appui du Centre national des arts plastiques (Soutien à un projet artistique), de la Ville de Marseille (Aide au projet), de la Région Sud (Carte blanche), en partenariat avec les Archives nationales d’outre-mer ANOM

Synopsis | Février 1894, alors qu’il vient d’être rappelé à Paris pour insubordination, l’officier d’infanterie de Marine, Louis Archinard, «conquérant et pacificateur» du Soudan français, adresse à son ministre de tutelle un rapport dans lequel il défend son bilan. Le portrait d’une puissance coloniale en devenir s’y dessine. Février 2022, le Burkina Faso fait face à la plus grave crise sécuritaire de son histoire. Dans la capitale, la population vaque à ses occupations au milieu des travaux de voirie qui re-configurent le paysage urbain, loin des violences qui sévissent aux frontières et progressent de jour en jour vers la capitale. Le passé devient alors un lieu de problématisation du présent et son histoire une voie qui singularise l’actualité.

Le film nous place sur les traces d’un voyage dans le temps, à travers les archives photographiques et textuelles de la colonisation française en Afrique occidentale. En suivant la lecture d’un texte édifiant illustrant l’action de l’armée française à la fin du 19ème siècle, les mouvements de la caméra explorent l’espace public d’une grande ville subsaharienne et revisitent ces lieux profondément transformés depuis. Les travellings sur la route, ou circulaires à 360° en ville, nous proposent d’explorer sur le sol et au sol, les traces d’une anthropisation forcée, chantiers du chemin de fer, de la route, etc. Ce voyage dans la carte d’un territoire situé au cœur de la boucle du Niger, sur les traces des chantiers inachevés du colonialisme, explore le sol palimpseste de cette histoire que les africains de l’ouest ont subi. L’assemblage de ces mouvements de caméra avec les photographies, les cartes et le texte, nous interpelle sur la persistance des stigmates d’un vol d’État et celui de conquérants escamotant le futur des peuples « indigènes » sous couvert de civilisation. Laurent Hodebert

Retours sur le film, Jean Cristofol | Philosophe et épistémologue, coordinateur du collectif de l’antiAtlas des frontières et membre de la direction éditoriale de l’antiAtlas Journal.

C’est un film qui se met en place lentement, qui prend forme lentement, au fur et à mesure, avec cette étrange avancée, lente et progressive, très silencieuse, porteuse de son silence intérieur. La façon dont il se construit sur le dialogue des images, celles d’Archinard, les tiennes, avec cet écart de temps et cette étrange similitude, cette étrange façon dont ce qui passe des unes aux autres et à la fois dans la distance et dans une terrible continuité. Ce dialogue, cet échange est une grande part du film. La parole d’Archinard devient alors la seule voix qu’on entend, et la tienne reste retenue, présente et muette à la fois. Comme sont muets les burkinabè, les acteurs des événements de ces dernières années, lourdement absents. Le moment d’interpellation de la France ne change pas beaucoup à ce silence, même s’il se dit que c’est l’une des seules voix audibles aujourd’hui, avec ce beau moment de l’épilogue.

C’est pour moi un film qui ne cesse de créer des écarts, de creuser des silences. Il y a par exemple l’écart entre ce qu’écrit Archinard et ce que disent ses propres photos, cette distance entre son regard et l’absence de vrai regard des africains qu’il photographie, cette fêlure entre la présence dérisoire de l’ordre colonial et l’activité parallèle qu’on perçoit du côté de la population. Cette même distance se retrouve dans tes propres images, entre la parole des journalistes et l’activité quotidienne. Et dans les deux cas, le sentiment palpable du chaos, de la perte, d’un processus de décomposition. Dans tes images, la multitude des débris qui jonchent le sol, partout, tout le temps, et l’inachèvement des constructions, des voies, la fragilité des baraques au bord des routes, la précarité des étals des marchands.

Au début, l’absence de ces voix me gênait, elle me semblait rendre tonitruante la parole d’Archinard et sa bien-pensance coloniale. Puis, peu à peu, cette voix là aussi s’est remplie de silence et ce sont les images qui se sont mises, seules, à porter quelque chose comme une voix et à nourrir du sens. C’est un très beau film qui émerge. La façon dont il laisse les choses se dire par elles-mêmes est terriblement poignante.

Présentation d’ORATORIO

Jean-Jacques Palix, écoute : Autour de Kita

Blog monde diplomatique du 24 janvier 2025 : Out of Africa